Nous nous étions entretenus avec Sébastien quelques temps avant son départ. Aujourd’hui, l’heure est au récit de cette folle aventure.

Carnet de trail : Comment allez-vous après cette aventure ?

Sébastien Raichon : Je vais bien, j’ai un bon moral. Je récupère bien, avec beaucoup de sommeil et je mange beaucoup. J’ai perdu 3, 4 kilos pendant ces quelques 60 heures quand même.

La Barkley est tellement particulière qu’elle commence bien avant le départ. La candidature pour cette course, la lettre de condoléance de Lazarus Lake et sur place l’ambiance.

Dès que j’arrive sur place je suis tout de suite sous le charme. Je n’ai pas pu arriver très en amont de la course mais j’ai eu deux jours de reconnaissance et dès le départ j’ai adoré cette forêt. Elle est belle, aérée ; je me dis à ce moment-là que même le hors sentiers ne sera peut-être pas si terrible.

Je vais au camp le mardi afin de nous installer notre camp de base pour la course. L’ambiance est bon enfant et chaleureuse. On donne un coup de main pour installer les barrières, les organisateurs accrochent les plaques d’immatriculation des concurrents des autres années…

Le jour de la course, la conque retentit à 4h17, signe que le départ est imminent. Sébastien est prêt, même s’il n’a pas dormi depuis longtemps. “A ce moment-là tout est prêt et personnellement je ne dormais plus depuis longtemps”. Le départ est rapide, la Barkley 2024 est lancée.  “Au départ il y a 500 m sur la route mais au bout de 5 minutes, ça part fort, les anciens ne prennent pas les devant alors je comprends que l’idée c’est vraiment de rester grouper. Les premiers livres s’enchaînent, le 4ème était un peu difficile, on est 20 à le chercher et heureusement.”

Sur la partie nouvelle du parcours, le groupe se réduit à 15 coureurs, c’est à ce moment que John Kelly et Damian Hall attaquent, et Sébastien se retrouve dans un groupe de cinq. “Il y a l’attaque de John et Damian, on sent qu’ils sont costaud, et on est un petit groupe de cinq à se détacher. J’ai des bonnes sensations, les jambes suivent. Ce premier temps se passe sans accroc, c’est cool, ça met en confiance.”

Crédit : Jacob Zocherman
Crédit : Jacob Zocherman

A la fin de la première boucle arrive aussi la première transition : “On discute un peu sur nos transitions à venir”. John Kelly fonce, Sébastien quant à lui repart avec Damian après une transition d’environ 8 minutes. “On se regroupe assez rapidement tous les cinq. On sent bien que John part rapidement sur cette boucle mais nous attend”.

Cette deuxième boucle débute avec l’après-midi et le groupe des cinq se retrouvent en plein soleil, avec une température de 25°C. Sébastien souffre de crampes comme il n’en a jamais eu auparavant. “Mes crampes étaient dues à la chaleur et à l’eau, elle est différente et j’aurais dû prendre des pastilles d’iode, ce que je ne fais jamais, donc évidemment je n’en avais pas. Jasmin faisait l’élastique sur cette boucle mais à un moment on la voit revenir, elle semblait imperméable à la chaleur. »

C’est à ce moment-là que Sébastien prend le lead sur l’orientation dans un nouveau passage, recevant les félicitations de ses compagnons. Il faut lire le récit de course de Damian Hall qui raconte ce moment magique, un moment de pure Barkley.

J’étais touché de lire ce que Damian a écrit sur ce moment, c’est un bel hommage. En fait j’étais pas très bien avec mes crampes depuis un moment donc je prends un peu les devants pour les relayer. C’est sur le nouveau passage, je me sens bien, j’ai un bon feeling sur l’orientation, alors je me laisse porter et je descends comme ça, à l’endroit qu’il faut, ils m’ont tous félicités mais pour moi c’était un peu leur rendre l’ascenseur.

C’est vrai que quand je cours je chante et là typiquement je me mets à chanter. Je chante La quête de Brel, l’histoire d’atteindre l’inaccessible étoile ça me parlait pendant mon entraînement et encore plus pendant la Barkley. J’avais même inventé des paroles”.

A la fin de la deuxième boucle Sébastien est à la limite de la rupture. Il décide de se concentrer sur sa course, ne voulant pas risquer l’explosion à cause de la chaleur il prend plus de temps à la transition et décide de lâcher le groupe de devant.

Crédit : Yannick Besse
Crédit : Yannick Besse

“Après ce deuxième tour, je suis un peu à la limite. J’ai fait 2 tours, j’ai des repères, donc je me dis ‘pense à toi’. ça ne servait à rien de vouloir s’accrocher avec le risque d’exploser avec la chaleur.”

Mais une fois tout seul, tout est différent. “Je me rends compte que j’ai pas assez de repère”. “J’attaque pas bien le deuxième livre, je me décale, je sais que je suis décaler mais je perds bien une petite demi-heure. Et alors que quand je pars je sais que Jared et Greig étaient derrière moi, avec le temps que je perds sur ce livre, arrivé là-bas je vois que les 2 sont déjà passés.

Erreur stratégique. Erreur de virgin.”

Crédit : Jacob Zocherman

Le troisième tour est marqué par plusieurs erreurs qui lui font perdre plus d’une heure. Cependant, Sébastien se sent mieux physiquement et après une transition rapide, il entame le quatrième tour, toujours seul. Tout se passe bien jusqu’au livre 2 qu’il faut attaquer à l’envers, il manque de lucidité et une nouvelle fois il perd un temps précieux sur ce livre. Il se retrouve finalement avec 15 minutes de marge à la fin de sa quatrième boucle, mais tout le monde l’encourage et lui donne des conseils.

En arrivant sur le camp je croise Ihor, Damian et Jasmin qui sont sur leur cinquième boucle. Je n’ai que 15 minutes de marge mais tous les français sont là pour me conseiller et m’encourager. Je repars en me disant pourquoi pas, moi j’y crois.” Avec le timing serré, une seule chose à faire : attaquer fort.

“J’attaque. Le sommeil me gagne un peu mais c’est tellement engagé que tu ne peux pas t’endormir. J’ai un bon passage ; je garde un bon rythme et je ne fais pas d’erreur. Je regarde l’heure, j’envoie fort en me disant “ça va être bon”. Mais en arrivant sur le livre 9 je fais une nouvelle erreur et là je vois que je n’ai plus la marge pour la suite. C’est à ce moment-là que je réalise que c’est fini.”

Quand le couperet tombe tout se relâche ; “Là je me mets à sentir tout mon corps, mon corps se relâche et le lâche. D’un seul coup j’ai mal partout, j’ai plus d’énergie, mes pieds me font mal… A ce moment-là je me dis que même de rentrer au camp va être difficile”.

Sébastien rentre alors au camp de base et tout comme Damian, il a le droit à une acclamation, celle réservée aux rares qui se sont engagés sur un cinquième tour mais qui ont trébuché. “A ce moment-là c’est dur, j’y ai cru très longtemps mais la course est finie pour moi. C’est un moment d’autant plus difficile que j’ai pas dormi depuis 60 heures…

“Heureusement il y a beaucoup de monde et j’ai le droit à un bel accueil et surtout au fameux clairon qui met un terme à la course officiellement. Et puis après ça il y a l’arrivée de Jasmin, et ça c’était un moment très fort!”

En attendant Jasmin Paris. Laz' les yeux rivés sur sa montre. Crédit : Jacob Zocherman
En attendant Jasmin Paris. Laz’ les yeux rivés sur sa montre. Crédit : Jacob Zocherman

Avec son échec dans le cinquième tour, Sébastien entre dans un cercle très fermé, celui de ceux qui ont entamé un dernier tour sans réussir à terminer la Barkley. Ils ne sont que trois dans ce cas-là, Damian Hall, Gary Robbins et lui. “Oui, Damian m’a fait remarquer ça. J’avoue être plutôt amusé de ça, c’est pas n’importe qui Damian et Gary donc ça me va aussi”.

De son côté, après sa Barkley, Sébastien prévoit de faire un GR 20 en autonomie, pas de pacer, pas de ravito, le retour à la nature et une certaine continuité avec la Barkley. Il est d’ailleurs déterminé à revenir à la Barkley. “Le vendredi soir, c’était un peu dur, surtout avant que je franchisse la ligne d’arrivée. Le vendredi je ne savais pas si je reviendrais, le dernier tour j’étais vraiment à l’arrache et fracassé. Mais dès le samedi, avec les nombreux messages de proches mais aussi d’inconnus, je me suis vite dit que j’y retournerai ! Aujourd’hui je sais que j’ai fait des erreurs de virgin. J’ai pas trop de regrets, je me suis retrouvé seul pendant 3 tours et c’est trop. C’est des petits trucs que j’ai appris, maintenant faut y retourner !

Lire et entendre les récits des participant.e.s de la Barkley rappelle à quel point cette course à une âme. Elle symbolise l’idée de fraternité que le trail aime mettre en avant.

Crédit : Yannick Besse
Crédit : Yannick Besse

Une réponse à « Barkley 2024 : Le récit de Sébastien Raichon »

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